Le corps des vieux et Canne à sel

Cahier de texte de …

LE CORPS DES VIEUX & CANNE À SEL
de ANOORADHA RUGHOONUNDUN (France-Maurice)

Le Corps des vieux

Une aide à domicile nous livre une profonde et tendre réflexion sur ce que signifie prendre soin des personnes âgées et de leurs corps. Pour cette jeune femme dont on suit la tournée, il s’agit avant tout d’une éthique du regard : regarder avec pudeur mais sans détour ces corps qui portent leur existence sur eux, et qui chaque jour un peu plus se font la malle. Mains violacées, paupières rentrées, articulations qui coincent, tout impressionne la rétine de la visiteuse, qui se réfugie le soir au creux de corps jeunes pour se rappeler à la vie. Comme le dit le personnage, son métier peut se résumer en un « vertige payé au smic ».

Canne à sel

Comme Le corps des vieux, Canne à sel est aussi court et percutant que le passage d’une comète. Porté par la voix d’une femme dont la mère vient de mourir, ce texte nous plonge au cœur d’un récit initiatique. Depuis l’avion qui l’emmène à Paris pour retrouver le corps de sa mère et procéder aux démarches qui s’imposent, le personnage remonte le courant d’un trauma familial marqué par la colonisation et les champs de cannes à sucre où ses ancêtres sont allés travailler et se tuer à petit feu. Quel est ce langage parlé par le notaire ? Qu’est-ce que la façon dont on incinère les blancs ici ? Tout lui est étranger et l’expérience du réel s’altère autant qu’elle se densifie au fil d’un tissage poétique fait de rêves, de réflexions historiques et d’hallucinations.

EXTRAIT
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INTERVIEW DE L’AUTRICE

>> Retrouvez l’interview d’Anooradha Rughoonundun en vidéo

 

RENCONTRE AVEC L’AUTRICE PENDANT LE FESTIVAL REGARDS CROISÉS 2021

Une rencontre avec
ANOORADHA RUGHOONUNDUN – Autrice
PAULINE BOUCHET – Modératrice

 

QU’EST CE QUI A MOTIVÉ/PROVOQUÉ/SUSCITÉ L’ÉCRITURE DE CES TEXTES ?

« J’écris quand je suis confrontée à une sensation qui me semble importante. Souvent elle provient d’une expérience intime tout à fait commune mais insuffisamment dite à mes yeux, pour laquelle je sens un manque de référentiel lorsque j’y suis confrontée. Ce sont des expériences taboues ou indicibles, ou les deux. Je produis alors de la matière pour participer à donner du commun à ces expériences.
J’ai écrit Canne à sel à la suite d’un deuil doublé d’un retour en France après un temps à Maurice. J’avais une sensation du monde à la fois intense et distanciée, comme si je le découvrais ou comme dans un rêve. Tout me semblait étrange : traverser un centre commercial, récupérer une urne funéraire, vérifier ne pas avoir fait une tâche de règles… J’ai atterri dans le Périgord et c’est le contact des forêts et des grottes qui a déclenché cette écriture. J’ai voulu écrire un texte qui évoque le lien et le grand écart entre l’expérience de la société, de l’univers et du corps. J’avais aussi besoin de traiter la question de l’impact colonial, éprouvé à Maurice et en France sans identifier la façon dont il s’imprimait en moi. Créer une narration en agençant images, descriptions et rêves m’a permis d’aborder ce sujet qui m’agissait mais que je ne saisissais pas.
J’ai écrit Le Corps des vieux après avoir travaillé comme aide à domicile auprès de personnes âgées. C’était également une expérience qui m’avait marquée sans que je la comprenne bien. En revanche la sensation à l’origine de l’écriture était beaucoup plus évanescente, impalpable que celle, très dense, à l’origine de Canne à sel. J’étais touchée par ces rencontres, peut-être cette altérité très marquée, des façons d’habiter le temps et considérer la mort qui m’inspiraient, ou le trouble d’entrer subitement dans l’intimité des personnes… J’étais aussi touchée par leur corporalité si éloignée de la mienne, mais dont je me rapproche de jour en jour, comme toute personne. Ma démarche d’écriture était de l’ordre de l’hommage, du regard documentaire et du partage de mon trouble.
Canne à sel et Le Corps des vieux sont des textes qui occupent des places différentes dans mon travail mais je retrouve dans les deux un besoin d’évoquer la mort : épopée de deuil pour Canne à sel, description de la dernière période de vie dans Le Corps des vieux. Ces deux textes font suite à l’écriture et la mise en scène, à mon sens non satisfaisantes, d’Autopsie. Dans cette pièce je cherchais ce qui nomme la mort entre parole scientifique, poésie et gestes rituels. Dans Canne à sel et plus indirectement Le Corps des vieux, j’ai poursuivi cette recherche en la décalant : évoquer les vertiges qui bordent la mort (avant elle, après elle). »

 

BIOGRAPHIE DE L’AUTRICE, ANOORADHA RUGHOONUNDUN

© Cyril Leduc

© Cyril Leduc

Anooradha Rughoonundun a une formation de metteuse en scène (INSAS, Bruxelles) et de comédienne (Arts en Scène, Lyon), ainsi qu’une licence d’Arts du spectacle (Université Lyon II). En 2014 sa découverte de l’art pariétal en Dordogne l’amène à une démarche plus personnelle que celle qu’elle suivait jusqu’alors, et qui passera par l’écriture. En 2015, sa première pièce Cytotec remporte le Prix d’encouragement à l’écriture dramatique de l’Union Européenne à l’île Maurice au Festival Passe-Portes. En 2016 elle écrit et met en scène la courte pièce Autopsie et chante dans le groupe afro-colombien Turikumwe. Elle donne des lectures des poèmes de son père (Institut Français à Maurice, Festival la Houle des mots), qui évolueront en 2020 vers le solo Manama, rituel parlé/chanté. En 2018 elle crée un duo avec la violiste de gambe Clémence Schiltz à partir de son texte Canne à sel (Festival Nous n’irons pas à Avignon, Cirque royal de Bruxelles, etc) Elle est actuellement en cours de création d’une forme immersive sur les sorcières avec le collectif Makrâl et développe sa formation vocale. Féministe, elle est également formée et a exercé comme conseillère en planning familial. Elle vit dans la montagne.

 

LES COUPS DE CŒUR LITTÉRAIRES DE ANOORADHA RUGHOONUNDUN

  • Un don de Toni Morrison, éditions 10/18, 2008
  • Alpha… directions de Jens Harder, Actes Sud – Éditions de L’an 2, 2009
  • King Kong théorie de Virginie Despentes, Le livre de poche, 2007

 

PRESSE

>> Lire l’article RFI sur Le corps des vieux au festival Regards Croisés 2021