La cargaison

Cahier de texte de …

LA CARGAISON
de SOULEYMANE BAH (Guinée), 2020

Lauréat du Prix Théâtre RFI 2020

En 2019, onze jeunes guinéens meurent abattus par les forces de l’ordre lors d’une manifestation dénonçant la volonté du président guinéen à changer la Constitution pour briguer un troisième mandat. Ces onze corps, privés de sépulture, deviennent un enjeu politique entre le pouvoir et l’opposition. Pièce chorale à la portée universelle, La Cargaison est un poème dramatique à la théâtralité surréelle. Qu’il s’agisse d’hommes et de femmes, d’objets ou de lieux, tous prennent part au récit de ce moment absurde : les cadavres révoltés d’attendre, la morgue dépassée, le cimetière qui manque de place, une balle perdue… Avec cette galerie macabre, Souleymane Bah inscrit au cœur de sa pièce un humour grinçant porté par la colère et la lucidité du poète.

EXTRAIT
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INTERVIEW DE L’AUTEUR

>> Retrouvez l’interview de Souleymane Bah en vidéo

 

RENCONTRE AVEC L’AUTEUR PENDANT LE FESTIVAL REGARDS CROISÉS 2021

Une rencontre avec
SOULEYMANE BAH – Auteur
THIERRY BLANC – Responsable du comité de lecture du Quartier des Autrices et des Auteurs
OLIVIER FAVIER – Modérateur

 

QU’EST CE QUI A MOTIVÉ/PROVOQUÉ/SUSCITÉ L’ÉCRITURE DE CE TEXTE ?

« Les 14, 15 et 16 octobre 2019, à Conakry, une structure qui regroupe des organisations de la société civile et des partis politiques, le Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC) appelle à une série de manifestations pour dénoncer la volonté du président guinéen à changer la constitution et se maintenir au pouvoir. Onze jeunes sont abattus par les forces de l’ordre. Leurs dépouilles sont confisquées par le pouvoir qui trimbalera près de trois semaines entre deux hôpitaux. Comble de violence pour ces morts, le cimetière où ils sont censés être inhumés se trouve sur le parcours qui va du premier hôpital au second.
Pour le gouvernement, il fallait procéder à des autopsies avant de rendre les corps à leurs familles uniquement, absolument pas aux organisateurs de la manifestation. Pour ces derniers, l’enjeu était d’offrir ce qu’ils appellent des « funérailles grandioses aux martyrs » avec en filigrane l’objectif d’exposer aux yeux du monde le caractère répressif du régime. Du côté du pouvoir, il était hors de question d’avoir dans la ville un quelconque cortège funèbre préjudiciable à son image d’État démocratique.
Voilà que se met en œuvre la mécanique machiavélique de l’accession au pouvoir et/ou de sa conservation, quel qu’en soit le prix. Les deux adversaires poussent le cynisme, l’obscénité aux confins de l’indignité et de la déshumanité, chacun refusant de bouger d’un pouce au grand dam des dépouilles dont certaines sont progressivement en état de décomposition.
Au-delà de ce qui s’est déroulé en Guinée pendant cette période, je voulais poser la question des limites que l’être humain est capable de franchir lorsqu’il s’agit de conquérir ou de garder le pouvoir, démontrant ainsi qu’en politique, certainement plus qu’ailleurs, la fin justifie toujours les moyens. Je voulais raconter le drame de ces corps de Conakry en écho à tous ces morts à travers le monde qui deviennent des terrains de jeux, d’enjeux de pouvoir. Georges Floyd aux États-Unis tenait-il à être le symbole des Black Lives Matter et justifier toutes les violences consécutives à son meurtre ? Et Adama Traoré ? Et tous ces manifestants assassinés çà et là au nom d’idéaux politiques, d’idéologies religieuses ? Veulent-ils qu’on se serve de leurs corps pour continuer une lutte, pire pour permettre à d’autres personnes d’exister, se légitimer et revendiquer une place qu’ils n’auraient pas eu dans l’espace public sans ces drames ? Ces spectacles macabres sont-ils nécessaires, indispensables, consubstantiels de la victoire dans la lutte au nom de laquelle les morts sont morts ? Les morts ne veulent-ils pas reposer en paix… tout simplement… dorénavant ?
Antigone dit : « Ceux qu’on n’enterre pas errent éternellement sans jamais trouver de repos ». Tel est le destin tragique auquel sont soumis les corps coincés dans La Cargaison, corps qui errent au sens propre comme au figuré, contraints à une interminable déambulation macabre. »

 

BIOGRAPHIE DE L’AUTEUR, SOULEYMANE BAH

© Massow Ka

© Massow Ka

Lauréat du Prix RFI Théâtre 2020, de la Bourse NORA, de Visa pour la création, Souleymane Bah est auteur et metteur en scène guinéen. Il débute le théâtre au lycée en fondant la troupe Djibril Tamsir Niane. Son texte « Jamais d’eux sans proie », finaliste du Prix RFI Théâtre 2018, est lue au festival Visions d’exil. Il crée avec sa compagnie Laborato’Arts sa pièce « Danse avec le Diable » en 2016 qui obtient le « Prix du meilleur spectacle et de la meilleure interprétation féminine aux Guinée Comédie Awards ». Elle est lue à Avignon en 2019 dans le cycle RFI « Ça va, ça va le monde ! », jouée aux festivals Univers des mots (Conakry), Les Récréatrales (Ouagadougou), Sens Interdits (Lyon). « La fille qui répare les hommes » est parmi les textes remarqués aux Journées des Auteurs de Théâtre de Lyon 2019. En 2021, il participe à la résidence du programme 10 sur 10 consacrée à Molière, en collaboration avec la Comédie Française. Il met en scène des pièces de Koffi Kwahulé, « Roméo et Juliette », crée « Sur la pelouse » d’Hakim Bah, « Les châteaux de la ruelle » de Bilia Bah, « L’enfant noir » de Camara Laye. Condamné par contumace dans son pays, il est exilé actuellement en France.

 

BIBLIOGRAPHIE

  • Tranchantes chroniques, L’Harmattan éditeur, 2015

 

LES COUPS DE CŒURS LITTÉRAIRES DE SOULEYMANE BAH

  • Dans la solitude des champs de coton de Bernard-Marie Koltès
  • Big Shoot de Koffi Kwahulé
  • Les coqs cubains chantent à minuit de Tierno Monénembo