La Sœur de Jésus-Christ

Cahier de texte de …

LA SŒUR DE JÉSUS-CHRIST
de OSCAR DE SUMMA (Italie), 2015

La Sœur de Jésus-Christ (La sorella di Gesù Cristo) est traduit de l’italien par Federica Martucci (2020)
Avec le soutien de la Maison Antoine Vitez, centre international de la traduction théâtrale
Le texte est lauréat de l’aide à la création Artcena (2020)

Dans ce village du sud de l’Italie, tout le monde est affublé d’un surnom, comme le signe d’une communauté familière et soudée. La jeune Maria vit dans la campagne environnante avec sa famille, père, mère, grand-mère, sans oublier le frère, Simone, surnommé Jésus-Christ en raison de sa ressemblance avec ce dernier qui lui confère l’honneur de jouer le rôle du Christ lors de la Passion du vendredi saint. Un jour, Maria s’empare du pistolet Smith & Wesson 9 mm qui dort dans le buffet de la cuisine familiale et quitte la maison, l’arme à la main. Elle marche en direction du village d’un pas sûr et le traverse avec colère et la détermination. Au fur et à mesure de son avancée, on devine sa destination : elle se rend chez Angelo le Couillon le jeune homme qui la veille lui a fait violence.

EXTRAIT
>> Lire l’extrait de La Sœur de Jésus Christ

 

INTERVIEW DE L’AUTEUR

>> Retrouvez l’interview de Oscar De Summa en vidéo

 

RENCONTRE AVEC L’AUTEUR PENDANT LE FESTIVAL REGARDS CROISÉS 2021

Une rencontre avec
OSCAR DE SUMMA – Auteur
FEDERICA MARTUCCI – Traductrice
OLIVIER FAVIER – Traducteur
FANETTE ARNAUD – Modératrice

 

QU’EST CE QUI A MOTIVÉ/PROVOQUÉ/SUSCITÉ L’ÉCRITURE DE CE TEXTE ?

« Les forces qui nous animent à notre insu  

Depuis de nombreuses années ma recherche théâtrale est principalement centrée sur l’identification des forces anthropologiques, historiques, culturelles qui nous animent à notre insu ! Des structures dont nous avons héritées et qui sont si profondes qu’elles nous incitent à nous identifier à ces forces. Une condition qui nous ôte toute possibilité de regarder le monde depuis notre singularité propre.
La première étincelle de La sœur de Jésus Christ s’est allumée lors d’une rencontre avec le public quand un spectateur m’a demandé pourquoi dans mes spectacles les femmes étaient toujours idéalisées ! Une question à laquelle j’ai été bien incapable de répondre avec honnêteté. Toutefois elle a eu alors le mérite d’amorcer une réflexion destinée à me révéler ce que j’activais en profondeur et allait en ce sens. Il y a aussi eu la rencontre décisive avec deux livres qui ont inspiré la forme et la matière de ma recherche initiale tout d’abord et du spectacle ensuite. D’une part, Pierre Bourdieu avec son livre La domination masculine m’a éclairé non seulement sur les mécanismes d’affirmation masculine mais aussi sur le fait qu’en réalité nous n’avons pas d’alternative. Le langage est masculin. Le mode d’action est masculin. Et l’imaginaire l’est aussi ! Pour les hommes et pour les femmes ! De là, j’ai pensé (il serait plus juste de dire : l’intuition m’est venue) d’écrire une action, entièrement féminine, tellement résolue, qu’elle obligerait tous ceux qui entrent en contact avec elle à prendre position, à révéler le fond de leurs pensées, à déclarer ouvertement les non-dits. L’idée était celle d’un voyage initiatique dans la connaissance qui amènerait la protagoniste et les spectateurs à une prise de conscience des forces réellement à l’œuvre ! Alors est arrivé à la rescousse un second livre qui a été fondamental pour cette écriture-là ! Le héros aux mille et un visages de Joseph Campbell qui étudie la forme des passages de prise de conscience dans les récits mythiques. Autrement dit, pour résumer, chaque récit est structuré selon des règles précises et dévoile les passages allégoriques nécessaires pour franchir un seuil. J’ai voulu faire franchir à Maria, ma protagoniste, et j’espère aussi à des spectateurs dans le public, ce seuil de prise de conscience. »

 

BIOGRAPHIE DE L’AUTEUR, OSCAR DE SUMMA

© DR

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Oscar De Summa a débuté comme acteur et depuis 1999, se consacre aussi à l’écriture théâtrale et à la mise en scène tout en continuant de jouer notamment sous la direction de Massimiliano Civica. Il adapte et met en scène des œuvres de Shakespeare dans le cadre de son projet Contemporaneamente Shakespeare (Riccardo III e le regine, Un Otello altro, Amleto a pranzo e a cena) et écrit plusieurs pièces qu’il met en scène dont Selfportrait, Hic Sunt Leones, Trilogie de la province comprenant Diario di provincia, Stasera sono in vena et La sorella di Gesù Cristo (La Sœur de Jésus Christ). Il reçoit divers prix en Italie de la critique et du public. Il travaille à l’écriture d’une nouvelle trilogie revisitant les archétypes des tragédies grecques à l’époque contemporaine. Il a écrit le premier volet, La Cerimonia, représenté au théâtre Metastasio de Prato. 

 

LES COUPS DE CŒURS LITTÉRAIRES DE OSCAR DE SUMMA

  • Les Héros aux mille visages de Joseph Campbell, J’ai Lu, 2013
  • La Violence et le sacré de René Girard, Hachette Littératures, 1998
  • L’expulsion de l’autre, Byung-Chul Han, Presses Universitaires de France, 2020

 

BIOGRAPHIE DE LA TRADUCTRICE, FEDERICA MARTUCCI

© Julie Reggiani

© Julie Reggiani

Federica Martucci est comédienne, traductrice, metteuse en scène. Au théâtre, elle joue notamment sous la direction de Antonella Amirante (Arrange-toi, La revanche) et de Justine Heyneman (Les petites reines, Les nuages retournent à la maison). En 2019 elle met en scène Homme Femme de Saverio La Ruina. Elle traduit de l’italien et surtitre des textes de théâtre d’auteur·rice·s comme Stefano Massini, Deflorian/Tagliarini, Lucia Calamaro, Saverio La Ruina, Laura Forti, Lorenzo Pisano, Oscar De Summa, Marta Cuscunà… Plusieurs de ses traductions sont publiées chez l’Arche, Actes Sud-Papiers… Elle coordonne, avec Olivier Favier, le Comité italien de la Maison Antoine Vitez. Elle a codirigé avec Olivier Favier la publication chez Théâtrales de 1990-2020 – Le Théâtre italien en résistance.

 

LE REGARD DE LA TRADUCTRICE

La pièce progresse à l’aune des enjambées de Maria et la trame se révèle au fil de son avancée et des diverses réactions des gens qu’elle croise sur son chemin. Pas après pas, le puzzle de l’histoire se reconstitue ce qui nourrit tout du long une tension dramaturgique qui nous tient en haleine jusqu’à la fin. En effet, jusqu’à la dernière ligne, l’auteur alimente le suspens quant à l’issue de la marche de cette femme à la reconquête de sa dignité. Lorsqu’elle entre dans le magasin de son violeur, celui-ci l’attend, lui parle, Maria ne répond pas. Quand il a fini de parler, du dehors on entend un seul coup de feu : que s’est-il passé ? L’auteur laisse ici le dernier mot, l’issue à l’imaginaire spectateur ou du metteur en scène qui s’emparera de la pièce : qui a tiré ? (elle, lui ?) sur qui ? (sur elle, sur lui) sur quoi ? (en l’air, sur un crucifix … ?), ce coup de feu est-il meurtrier, libératoire, est-il un acte de violence de plus dans l’histoire de l’humanité ou signe-t-il la volonté de mettre fin à la spirale infernale de la violence

L’écriture de Oscar de Summa est marquée par une grande vitalité qui émane de la rythmique et des sons (le recours aux répétitions, aux onomatopées, la brièveté et la vivacité des dialogues, les monologues construits sur un souffle, la capacité à brosser en quelques images ou anecdotes bien choisies une atmosphère, ici celle d’un petit village du sud). L’auteur joue aussi habilement avec l’ironie en traquant le grotesque de certaines situations (par exemple, la tenue des joueurs de football). Par ailleurs, bien que le propos principal de la pièce (la violence sexuelle) soit dramatique, Oscar de Summa parvient à insuffler beaucoup d’humour dans les dialogues entre les villageois, et dans les portraits qu’il brosse des divers personnages, ce qui offre au spectateur des bulles pour respirer et continuer à avancer en même temps que Maria.

La violence dans les rapports humains

Dans cette pièce, l’auteur s’interroge sur la violence inhérente à l’être humain, celle qui peut sommeiller en chacun de nous et, dans certaines circonstances, se réveiller. La violence, tout comme la force, peut se manifester si elle n’est plus canalisée et alors trouver une expression, parfois, à travers une victime toute désignée.
Dans la pièce, l’homme qui a fait violence à Maria, lui confesse lorsqu’elle est face à lui, au terme de sa grande traversée, qu’il voit clair, qu’il a compris ce qui l’a poussé à un tel acte de violence : la peur, l’envie de ne pas subir, l’impression à travers un tel acte de se sentir vivant (dans un monde qui a tendance à rendre apathique, la violence devient une ivresse qui réveille et pousse à commettre des actes répréhensibles voire criminels). Sans doute aussi, la sensation de répondre aux injonctions de la société d’être un homme viril. C’est par là-même la question du mythe de la virilité qui est abordé, mythe sur lequel certains considèrent que l’homme a théorisé l’infériorité de la femme mais aussi l’oppression de l’homme par l’homme. Ici, le « devoir de virilité » s’avère un fardeau pour le jeune homme qui finit par en être lui-même victime et par là-même coupable.

La traversée du village comme un voyage initiatique

La traversée par Maria du village sous le regard d’hommes et de femmes de tous âges peut se comprendre aussi comme son cheminement vers l’âge adulte, vers le monde des adultes.
En avançant sans faiblir, en affichant sa détermination, Maria surmonte les préjugés inhibiteurs que certains regards véhiculent. En surmontant ces regards, elles surmontent les préjugés, elle passe un cap, franchit des seuils comme si traverser le village était pour elle une sorte de voyage initiatique qui l’amène de la fin de l’enfance au monde des adultes.

Le corps, enjeu public et privé

Cette marche publique, aux yeux de tous, oblige ceux qui croisent Maria à prendre position à son égard et sur ce qui est arrivé et révèle aussi le contexte et le terreau émotionnels, culturels, politiques sur lesquels s’est construite la position que chacun manifeste.
En partant de la famille de Maria, de ses proches pour en arriver, peu à peu, aux habitants du village, le texte aborde un aspect de notre société actuelle, convaincue d’être progressiste alors qu’elle reste encore à de nombreux égards basée sur l’arrogance de la figure de l’homme viril et/ou du mâle dominant.
Dans la pièce, la jeune Maria, pour se réapproprier son corps, son intimité, sa dignité et son respect, est poussée à rendre tout cela public, à se donner littéralement en pâture à la foule (les habitants de son village), aux divagations de ceux qui croisent son chemin. Elle doit assumer son corps sexualisé par les hommes et la société contemporaine, ce corps qui est enjeu de pouvoir.

(Source site de la Maison Antoine Vitez)