Cathédrale des cochons

Cahier de texte de …
CATHÉDRALE DES COCHONS
de Jean d’Amérique [Haïti]

La Cathédrale des cochons de Jean D’Amérique se livre à nous comme un poème-exutoire. Une prise de parole d’un poète emprisonné et dont la voix s’élève au bout de six mois de privations, de tortures et de constats. Entretemps son identité s’est brouillée… jusqu’à son nom. Il devient étranger à lui-même face à la souffrance à laquelle il est livré. Pourtant il annonce sa bonne volonté à ses tortionnaires : suffit, dit-il, qu’on pèse sa « souffrance dans une balance / pour connaître mon vrai nom ».
Ce monologue du poète est une adresse à son amoureux depuis son abîme carcéral qui n’est en rien plus sombre que le réel du pays. Ce réel dont le souffle clopine, étouffé par « une constellation des sottises qui enveloppe les esprits ». Et elles sont légions ces sottises que délie la verve de Jean D’Amérique : ce sont les flics tortionnaires, les Casques bleus, les politiques, les pasteurs et leurs ouailles formant une « armée de têtes tournées vers le ciel » dans cette Haïti « terre à églises ».

LIRE UN EXTRAIT DE LA PIÈCE
>>
Lire l’extrait de Cathédrale des cochons

© Marie Monfils

QU’EST CE QUI A MOTIVÉ / PROVOQUÉ / SUSCITÉ L’ÉCRITURE DE CE TEXTE ?
J’ai entamé l’écriture de cette Cathédrale des cochons au lendemain d’un massacre d’État dans le quartier populaire de La Saline*, situé en périphérie de Port-au-Prince. Certains dramaturges écrivent avec la « scène » dans la tête, moi j’étais à ce moment acteur d’une vie, ou plutôt d’une mort, plus ardente que le théâtre lui-même, et je tentais le calvaire d’en être le scribe. Je prenais des notes avec les mains tremblantes. Chaque mot, une épreuve, tantôt rythmé par le bruit du clavier, tantôt saccadé par le chant des balles qui façonne les nuits de cette ville. Nous étions aussi à l’orée d’une longue période de contestations populaires contre le pouvoir en place, les rues étaient chaque jour bondées de gens en colère, j’étais parmi eux, et chaque fois cette valse de poings levés se soldait par un cocktail de morts et de blessés, et chaque fois je sentais alors dans l’air un goût de dictature avec ce régime et sa police. Il fallait que je crache pour reprendre souffle, et c’est là que j’ai commencé à ciseler les phrases, dans une véritable urgence. Le poète en moi est descendu parmi la foule opaque des blessures pour tenter de dresser un phare. Je voulais renouer avec la puissance des mots qui m’a toujours aidé à tenir, car j’ai vu et j’ai vécu beaucoup de violence dans le milieu urbain depuis mon enfance et c’est seulement en entamant l’exercice d’écrire que j’ai commencé à respirer. J’ai d’abord voulu élaborer un portrait de cette ville brisée. Et toute une série de choses m’est revenue : l’ombre du général soleil Jacques Stephen Alexis, immense écrivain englouti par la dictature, ou encore Asli Erdogan, dont le roman Le bâtiment de pierre m’est cher, qui était alors encore en prison en Turquie pour avoir utilisé sa plume contre un régime autoritaire – un peu comme l’ancêtre Nazim Hikmet -, et tant d’autres anonymes dont j’ai croisé les corps inertes au détour d’une sombre ruelle. Je me suis plongé dans la chair de tous ces accusés de poésie. Ainsi, mon personnage, au-delà du récit de sa ville meurtrie par la violence, mène le pari d’une parole érigée contre/par la répression. Il fait résonner les mots pour essayer de retrouver un souffle, une lumière. C’est là sans doute une perspective qui rejoint la démarche théâtrale que je poursuis : créer des personnages dont la parole poétique est la première arme d’existence. Jean d’Amérique

(*) En savoir + sur le massacre d’état du quartier de La Saline à Port-au-Prince
– sur Le Réseau National de Défense des Droits Humains
– sur Le nouvelliste

LA VIE DU TEXTE
Cathédrale des cochons a été écrit fin 2018. L’année suivante, il a été nominé au prix RFI.
Le texte fait partie de la sélection 2020 du comité de lecture de Troisième bureau.

BIOGRAPHIE
Né en 1994, Jean D’Amérique est poète, dramaturge et directeur du festival Transe Poétique, en Haïti. Il a publié Petite fleur du ghetto (Atelier Jeudi Soir, 2015 / MaelstrÖm, 2019) et Nul chemin dans la peau que saignante étreinte (Cheyne, 2017), distingué par le Prix de poésie de la Vocation. Il a été finaliste du Prix RFI-Théâtre pour Cathédrale des cochons (2019) et Avilir les ténèbres (2018), texte lauréat de Visa pour la Création et de Texte En Cours. Sa pièce Conversation poétique biodégradable a été créée au festival En Acte(s) en 2019.

SES 3 COUPS DE CŒUR LITTÉRAIRES
Le bâtiment de pierre, Asli Erdogan, Actes Sud, 2013
La nuit des terrasses, Makenzy Orcel, La Contre-Allée, 2015
Compère Général Soleil, Jacques Stephen Alexis, Gallimard, 1955