Festival 2019 – édito

ÉDITO

« NON, C’EST NON ! »
« Les moustaches frisent, les sourcils se crispent, les bouches soupirent, et ça maugrée blasé, « on la connaît la chanson”, une ritournelle, une variation qui revient, un couplet, un refrain sans fin, un slogan scandé des bancs du bac à sable jusque sous les balcons de l’Élysée, sale rengaine, complainte qui revient comme les crocus au printemps. Ben oui, « Non, c’est non », on le sait ça, une phrase simple, une règle non négociable que l’on prononce à son chien pour lui apprendre à rester à sa place, une règle non négociable que l’on pose aux enfants pour les dissuader de jouer avec le feu, une règle quoi. Il n’y aurait donc pas lieu de disserter.
NON, C’EST NON !
Les moustaches frisent, les sourcils se crispent, les bouches maugrée, « quel toupet ! », « inélégance », « comme est-ce possible ? », refuser, décliner la proposition, « enfin quand même, je sais ce qui est bon ! », « bon pour le moral”, « un peu de savoir vivre ! », « il faut savoir faire des compromis ».
Je dis NON et voici que ce qui était une affirmation non négociable devient une conditionnelle qui me place en sursis mise à l’épreuve. « Vas-y prouve, prouve que c’est NON ! Prouve que tu as raison de dire NON ! Laisse tomber, c’est des ploucs, ça dit NON, mais ça n’en pense pas moins. »
Quand je dis NON je deviens suspecte, suspectée d’enfreindre la règle, la loi sociale, une maladie ! On disserte alors sur la valeur du NON. « Allons bon, ça a toujours marché comme ça, quand on dit non, on dit oui », dirait l’autre.
Oui c’est bien enquiquinant à l’ère du tout relatif, à l’ère du « je dis ça, je dis rien, ou autre chose, ou ce que tu veux” d’affirmer que NON, quelque soit son contexte d’énonciation, ce mot n’est pas seulement un auxiliaire du refus, MAIS UN STOP, UN ARRÊT NET QUI DEVRAIT NOUS AMENER UNE LIGNE DE DÉMARCATION, UN STOP, UN ARRÊT NET QUI DEVRAIT NOUS AMENER À REPENSER UNE TRIPOTÉE DE CHOSES, A RENÉGOCIER LE SENSIBLE. Et pourtant…
Nécessairement, je suis obligée de convoquer qu’un an et demi après l’automne 2017 qui a vu naître le mouvement #metoo, chaque coin et recoin des institutions et autres appareils idéologiques d’État (de l’Assemblée aux théâtres en passant par le 36 quai des Orfèvres) n’a pas cessé de s’engoncer et de s’auto-asphyxier dans un fonctionnement séculaire déplorable et indigeste qui continue d’appliquer en toute impunité un système violent qui condamne des femmes, principalement, dénonçant les abus de pouvoir et précisément cette sale règle qui fait de celles (et ceux) qui disent NON les principales suspectes.
De la personne lanceuse d’alerte à la personne harcelée, agressée sexuellement, frappée, humiliée, violée, celle qui dit NON et dénonce, finit toujours par devenir la coupable parfaite, même lorsque son corps est retrouvé inerte au pied d’un immeuble.
Nous sommes très fort pour maintenir en place celui qui a le pouvoir et plus, lui trouver des circonstances atténuantes.
Nous avons besoin d’autres modèles. Des modèles qui mettent au jour, que s’opposer à l’ordre établi ne nous fera pas mourir mais nous rendra plus fort.
Je reprends les mots de Audre Lorde « Votre silence ne nous protègera pas. »
Pour cette nouvelle édition du festival Regards Croisés, nous avons posé comme une nécessité de défendre que chaque NON proclamé est une invitation à reconfigurer le sensible et ce, politiquement, économiquement, éthiquement et déontologiquement.
Pas de didactisme, pas de dénonciation, seulement la remise en question poétique mais radicale d’un monde fatigué. Ici ce qui est d’ordinaire méprisé et considéré comme sans voix, sans son, sans intérêt est HABILITÉ !

Magali Mougel