Festival 2018 – édito

Depuis quelques années, le paysage théâtral français prend conscience de son uniformité, de sa blanchité, de son manque de “diversité”. Et s’engouffre ou se réfugie souvent derrière ce terme de “diversité”, un peu flou, fourre-tout, parfois ambigu ou euphémisant. Un mot qui évite de nommer, et donc d’affronter, la réalité des discriminations et du racisme systémique, les assignations liées à l’origine ou la couleur de peau, la méconnaissance des cultures minoritaires, la persistance de l’imaginaire colonial. Un mot qui gomme la conflictualité et les rapports de domination liés à ces questions brûlantes et complexes, traversant le secteur théâtral comme l’ensemble de la société française.

Alors oui, mettons “la diversité culturelle en question”.

Selon une étude démographique de l’INED, 30 % de la population française n’est pas blanche : chiffre qui reflète combien notre pays est fruit de mélanges et de brassages, dus à une histoire marquée par l’esclavage, la colonisation, les migrations et les immigrations postcoloniales. Encore une fois, cette réalité, son héritage complexe, tout comme son infinie richesse, s’incarnent encore bien peu sur les plateaux de théâtre, dans les programmations, dans les voix qu’on entend, dans les récits qui s’écrivent et se déploient. C’est un déficit de représentation démocratique, autant qu’un déficit sensible.
Alors comment contribuer à une réelle présence et à une digne représentation des personnes et artistes Noirs, Afrodescendants, Arabes, Maghrébins, Asiatiques, des “Outre-mer”, etc, dans les fictions et sur les plateaux ? Comment faire du texte, de la scène ou de la distribution, de véritables espaces d’interrogation, d’expérimentation, d’émancipation des rôles assignés, d’ouverture des imaginaires ? Comment lutter contre les pièges de l’exotisme, des stéréotypes et représentations qui nous rattrapent parfois au tournant ? Comment interroger nos pratiques, nos privilèges, nos réflexes conditionnés, et contribuer à forger d’autres modèles ? Comment rendre audibles et légitimes les œuvres qui affrontent les mémoires complexes des diasporas, de l’esclavage, des colonisations et des immigrations, et viennent souvent questionner l’universalisme occidental, le décentrer, le déborder ? Comment déstabiliser les récits et esthétiques dominantes, inventer des alternatives, des théâtralités et dramaturgies nouvelles et hybrides ?

Tenter de décoloniser nos imaginaires, c’est s’atteler à aller plus loin qu’une simple promotion de la “diversité”, qui, si l’on n’y prend garde, peut se résumer à une opération de façade, un lissage cosmétique inoffensif.
Décoloniser les imaginaires et les arts, c’est une démarche plus profonde et radicale, un processus exigeant, empirique, jalonné d’embûches, intranquille, excitant. Vecteur de mutations sociales comme d’inventions esthétiques, d’accroissement des connaissances et du sensible, d’élargissement de l’universel au pluriversel. Pétri aussi de questions épineuses et nécessaires, de luttes extérieures et intérieures, de transformation de soi comme du monde, d’émancipation créatrice.

Marine Bachelot Nguyen