L’Ogresse

Cahier de texte de …
L’OGRESSE
de Lejla Kalamujić [Bosnie-Herzégovine]

L’Ogresse [Ljudožderka] est traduit du bosniaque (Bosnie-Herzégovine) par Tiana Krivokapic, en collaboration avec Karine Samardžija.
Avec le soutien de la Maison Antoine Vitez, Centre international de la traduction théâtrale.

Quand à trente-sept ans, Lejla remonte le cours de sa vie, elle décèle dans les tribulations de sa famille la désintégration de l’ex-Yougoslavie. La conviction profonde du personnage est qu’elle est la cause de la disparition des membres de sa famille. A commencer par sa mère qui arrêta de prendre son traitement contre ses problèmes cardiaques car dit-elle « Ma fille, c’est mon traitement ». Puis, c’est le père qui se noie dans l’alcool. Lejla se retrouve à vivre alternativement avec ses quatre grands-parents. Avec l’éclatement de la guerre en 1991, elle se réfugie en Serbie avec ses grands-parents maternels et retourne dès que cela est possible à Sarajevo chez ses grands-parents paternels qui n’ont désormais d’identité que leur religion musulmane. D’ailleurs Nedžad, son grand-père ne tolère pas qu’elle pratique chez lui sa nouvelle philosophie hindoue, les musulmans sont tués en Inde par les hindous, assène-t-il.
Lejla Kalamujic semble confier une part d’elle-même à son personnage Lejla dont le long monologue – traversé par des scènes de sa vie – s’entend comme une oraison funèbre à une mort prochaine. Cette pièce est une traversée intime et tragique de l’ex-Yougoslavie, avant, pendant et après la guerre.

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© Tanja Kanazir

QU’EST CE QUI A MOTIVÉ / PROVOQUÉ / SUSCITÉ L’ÉCRITURE DE CE TEXTE ?
J’ai écrit L’Ogresse en 2017 lors d’une résidence d’écriture dans la ville suisse de Zoug. La même année j’ai envoyé la pièce au Concours international pour le texte de théâtre engagé organisé par la Fondation Heartefact, où elle a passé le premier tour des sélections. Les traductions ont suivi : celle en langue française a été faite par Tiana Krivokapic, en allemand par Lydia Nagel et enfin en polonais par Gabriela Abrasowicz. Enfin, elle a connu trois lectures publiques : la première à Deutsches Theater Berlin dans le cadre du programme « Ostwärts », au Théâtre National de Belgrade puis dans le cadre du Forum des Nouvelles Écritures Dramatiques Européennes, à Lille.
L’Ogresse est un texte dramatique sur le démantèlement de la Yougoslavie et ses conséquences pour une famille. La seule particularité de cette famille, dans le contexte de cette période heureuse qu’étaient les années 1980, est la mort d’une jeune femme qui laisse derrière elle une fille, l’héroïne de la pièce. Les proches de la fillette essaient d’atténuer cette absence avec des histoires sur la grandeur et la puissance du pays dans lequel ils vivent, histoires en lesquelles sa mère croyait entièrement. Les malheureuses années 1990 font revivre à la protagoniste la mort de la mère. Mais durant ces années, elle comprend aussi que sa famille (qui représente tout son univers) est singulière car composée d’identités ethniques différentes. La guerre va diviser la famille et par là même, va lui enlever l’impression d’appartenance et elle va à partir de ce moment-là commencer à se mouvoir sur les lisières des frontières clairement définies.
Ce texte met en avant la culpabilité que nous ressentons tous. C’est un sentiment qui nous hante mais nous lie également car nous savons que nous aurions pu et dû mieux faire. C’est là que se trouvait ma principale motivation pour écrire cette pièce.
Lejla Kalamujić traduit par Tiana Krivokapic

LE REGARD DE LA TRADUCTRICE
Cette pièce a pour thème central la désintégration lente d’une famille sur fond de guerre en ex-Yougoslavie. Lejla Kalamujić interroge la quête identitaire face à l’Histoire. Construite en quatre parties, la pièce retrace l’enfance avant la guerre, la période de guerre, le retour à Sarajevo et l’après-guerre.
Le personnage principal, issu d’un mariage mixte (serbe/musulman) perd peu à peu tous les membres de sa famille. Refus de suivre un traitement, vieillesse ou cancer ne sont aux yeux du personnage de Lejla qu’anecdotiques car elle est convaincue de les avoir tués, telle une ogresse impitoyable, par sa présence au monde (mère), par négligence ou cruauté (grands-parents).
Chacun des personnages cristallise des aspects de la société yougoslave avant, pendant ou après la guerre. C’est à travers les particularités de chacun que Lejla Kalamujić questionne le rapport à la spiritualité, à la patrie, à la guerre, aux aïeux, à l’autre.
Tiana Krivokapic [Lire la suite …]

LA VIE DU TEXTE
– Le texte intégral est disponible sur demande auprès de la Maison Antoine Vitez.
– La pièce a fait partie de la présélection du prestigieux concours Heartefact (concours régional pour les langues BCMS*) en 2017.
– Les extraits de la traduction allemande ont été lus au Deutsches Theater Berlin en juin 2018. Le théâtre berlinois a mis en scène le texte en 2019/2020, poursuivant sa promotion des jeunes auteurs écrivant en BCMS (Iva Brdar, Tanja Šljivar, Dino Pešut…).
– Début de 2019, le texte a été porté à la scène par Lajla Kaikčija au Théâtre national de Bosnie à Zenica.
L’Ogresse fait partie de la sélection 2020 du comité de lecture de Troisième bureau
(*) bosniaque, croate, monténégrin, serbe

Forum des nouvelles écritures dramatiques européennes, 2019

>> Voir l’entretien de Lejla & Tiana à propos de la pièce sur le site du Forum des Nouvelles Écritures Dramatiques Européennes

BIOGRAPHIE
Lejla Kalamujić est autrice de nouvelles et de théâtre vivant à Sarajevo. Elle a écrit deux recueils de nouvelles, L’Anatomie du sourire et Appelez-moi Esteban. Pour ce dernier, elle a reçu le Prix « Edo Budiša ». Le livre a ensuite été publié en Serbie, en Croatie, puis traduit et publié en Macédoine, en Slovénie et en Allemagne. Lors d’une résidence d’écriture en Suisse, elle a écrit la pièce de théâtre L’Ogresse qui a été traduite et mise en voix en France et en Allemagne. Elle travaille en ce moment sur la publication de L’Ogresse et de deux autres pièces plus récentes par la maison d’édition croate Durieux.

BIBLIOGRAPHIE
Pièce
L’Ogresse, 2017
Recueils de nouvelles
Appelez-moi Esteban, 2016
L’Anatomie du sourire, 2009

SES 3 COUPS DE CŒUR LITTÉRAIRES
– Roman > Le Maître et Marguerite, Mikhaïl Boulgakov, Gallimard, 2019
– Théâtre > Un tramway nommé désir, Tennessee Williams, Robert Laffont Poche, 2017
– BD > Fun Home : une tragicomédie familiale, Alison Bechdel, Points, 2014

© Julian Blight

TIANA KRIVOKAPIC
Tiana Krivokapic a fait des études de théâtre et de politiques culturelles. Elle est membre de la commission « Extraduction littérature » du Centre national du livre. Elle a traduit du serbe vers le français : pas avant 4:30 ni après 5:30 de Filip Grujic, Les géraniums ne meurent jamais et Pouces en l’air d’Iva Brdar, L’Ogresse de Lejla Kalamujić, Banat (avec Lise Facchin) d’Ugljesa Sajtinac et d’autres. Elle a traduit en serbe les pièces de Laurent Mauvignier, Joël Pommerat, Philippe Minyana, David Paquet, Sylvain Levey, Boris Vian.