Chien-Fusil

Cahier de texte de …
CHIEN-FUSIL
de Simon Longman [Angleterre]

Chien-Fusil [Gundog] est traduit de l’anglais [Royaume-Uni] par Gisèle Joly, avec le soutien de la Maison Antoine Vitez, Centre international de la traduction théâtrale.
Simon Longman est représenté par Harriet Pennington Legh, agence Troika.

Le père d’Anna et de Becky abdique à la mort de sa femme. Il leur abandonne la ferme familiale. Il y a aussi Mick, le grand-père sénile aux histoires confuses ; Ben, le frère prodigue et emporté, qui veut échapper au mouroir de cette campagne anglaise. Mais les sœurs peuvent compter sur l’engagement de Gus DuBois, un sans-abri à qui elles offrent le gîte et le couvert sur plusieurs années. Seulement, le bétail dépérit et les perspectives s’étiolent.
Les répliques des personnages explorent le temps et son usure, la mémoire, la ruine. Des allers-retours se font entre le passé et le présent. Même les animaux, brebis et chienne, sont atteints par cette nature morose. Dans ce texte, Simon Longman propose le portrait d’une jeunesse rurale actuelle face à l’impasse d’un monde agonisant. Le temps s’écoule, irréel, entre Becky qui parle pour contrer le silence et Gus qui croit impossible de renouer avec les siens, entre les espoirs atones d’Anna et la démission de Ben. La langue est à la fois concrète et trouée, histoire de laisser la campagne rendre son souffle sans pathos.

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© Mark Weinman

QU’EST CE QUI A MOTIVÉ / PROVOQUÉ / SUSCITÉ L’ÉCRITURE DE CE TEXTE ?
Gundog [Chien-Fusil] m’est venue à l’esprit en pièces détachées. Jamais entièrement dessinée (sans doute qu’elle ne l’est toujours pas). Sous forme de petits moments de dialogue et d’images d’inconnus au soleil, une bière à la main ; des champs immenses avec juste une brume au-delà de l’horizon ; un orage ; quelqu’un tenant un fusil en pleine nuit sous une voûte d’étoiles, pâle comme un spectre au clair de lune. J’ignorais vers quoi l’histoire allait mener. Je savais que je voulais écrire sur des personnages isolés, perdus dans la campagne.
Le Royaume-Uni a une attitude très étrange envers son paysage rural. La campagne est vue, la plupart du temps, comme une sorte d’espace pseudo-sacré : un lieu d’évasion, semble-t-il, hors du bruit de l’espace urbain. Tu passes du béton et du verre à la verdure de la nature et tu trouves un peu de paix illusoire. Puis tu refous le camp à la ville en emportant le souvenir de ce calme. Du soleil sur ton visage au milieu d’un pré. Du doux jaillissement de l’eau sur les pierres. Des choses agréables. Voilà ce que certains veulent à tout prix que soit la campagne : joliment bucolique et cucul – à l’image d’un passé que personne en vie aujourd’hui n’a jamais connu.
Outre cette notion d’agréable, la campagne est parfois considérée par le reste du pays avec une forme de condescendance. Surtout par ceux qui peuvent se permettre d’y séjourner puis de l’oublier. L’idée qu’elle sera toujours là au besoin. C’est l’attitude type de quelqu’un considérant qu’un paysage n’a d’autre utilité que de permettre de s’y évader. Le temps passe, le paysage demeure inchangé – ta photo préférée dans laquelle tu peux entrer chaque fois que l’envie te prend. Je trouve cette attitude d’une imbécillité crasse. Elle évoque une arrogance, un désir de contrôle du paysage, tellement elle fait abstraction des éventuels habitants dudit espace. Des centaines de gens se lamentent à la vue des serres tunnels en plastique blanc élevées dans les champs, remplies de plants de fraisiers. « Quel dommage ! », s’écrient-ils, ignorant apparemment que c’est leur désir sans fin de fruits d’été qui a mis là ces tunnels en plastique. Pour les gens de passage, l’aspect pratique importe moins que l’esthétique. Ce qu’ils veulent, c’est un décor de carte postale. Tout ce qui s’en écarte leur gâche l’image égoïste qu’ils en ont.
Je me souviens d’avoir lu un article sur le site de la BBC, parlant d’un homme qui avait volé un troupeau de moutons. C’était un voleur de bétail. La photo qui accompagnait le texte montrait tous ces moutons entassés dans un break. Elle était assez drôle, je le reconnais. Tout l’article était sur ce ton humoristique, clairement écrit dans la veine de « Regardez-moi cet idiot des campagnes qui vole des moutons ». J’y ai beaucoup réfléchi. Je n’arrêtais pas d’y penser. Pourquoi était-ce écrit ainsi ? Comme si on se moquait de cet homme. Un type surpris à voler dix caisses d’alcool, là ce ne serait pas drôle. Alors pourquoi ça l’est ici ? Parce que c’est des moutons. Et que c’est la campagne. Mais cherchez plus loin, demandez-vous pourquoi cet homme a été forcé de voler un troupeau de moutons. Peut-être que la pauvreté des campagnes est un énorme problème dont personne ne parle vraiment. Que les paysans sont tellement accablés par les soucis d’argent et l’isolement qu’il y a maintenant une grave crise de la santé mentale en milieu rural. Au Royaume-Uni, c’est près d’un paysan qui se suicide par semaine. Et, du coup, près de 52 familles qui éclatent. Ça, pour moi, c’est une tragédie nationale et l’objet d’un non-dit presque complet. C’est à fendre le cœur, je trouve. Et si triste, putain. Ce qui me ramène à la façon dont était décrit ce voleur de moutons : comme un manche, sans même essayer de comprendre pourquoi cet homme a eu besoin de voler. Peut-être qu’il n’avait pas d’autre issue ? J’y ai beaucoup repensé en écrivant Gundog. Je voulais montrer des gens qui se débattent de manière apparemment curieuse. Les blagues et taquineries du début cèdent peu à peu la place à toutes les angoisses sous-jacentes. [Lire la suite]
Simon Longman, traduit de l’anglais par Gisèle Joly.

LE REGARD DE LA TRADUCTRICE
Pour citer une critique anglaise dans WhatsOnStage, ce n’est pas une pièce où vous éclatez de rire toutes les deux répliques, mais c’est une belle chose sincère, le portrait douloureux d’une famille composant vaille que vaille avec les fantômes de son passé et les promesses (illusoires) de l’avenir.
Ajoutons que c’est une pièce profondément sociale. Avec une réelle maîtrise des moyens d’expression du théâtre, l’auteur nous intéresse à la réalité brute de ces laissés-pour-compte dans la marche du temps, faisant comme résonner leur voix dans ce silence qui les avale, les efface de jour en jour un peu plus.
Pourquoi est-il fait si peu de cas du fait qu’il y a en moyenne un suicide d’agriculteur tous les deux jours en France (le chiffre est probablement supérieur chez les éleveurs) ? En Angleterre, c’est la profession qui connaît le taux de suicides le plus élevé, et le risque de suicide est encore doublé chez les éleveurs. Pourquoi ce sentiment de culpabilité par rapport à la ferme que leur père leur a transmise ? Pourquoi est-il insupportable d’échouer là où vos ancêtres ont réussi ? Sans doute, parfois, parce qu’on ne veut pas être celui ou celle qui va devoir arrêter l’activité à laquelle ses parents, ses grands-parents avaient consacré leur vie… Gisèle Joly [Lire la suite …]

LA VIE DU TEXTE
– Le texte intégral de Chien-Fusil est disponible sur demande auprès de la Maison Antoine Vitez
– La création a eu lieu au Royal Court Theatre de Londres, mise en scène par Vicky Featherstone
Gundog a gagné le 49e prix George Devine : en savoir +
– Un extrait de la traduction a fait l’objet d’une lecture à Texte en cours en mai 2019, au théâtre universitaire La Vignette de Montpellier
– Elle faisait également partie des textes sélectionnés pour le Forum 2020 des écritures européennes, dont une lecture d’extrait, par les élèves du TNS, aurait dû avoir lieu en juillet à la Chartreuse dans le cadre du festival d’Avignon (annulé)
– Elle est programmée dans le prochain festival de la Mousson d’été
Chien-Fusil fait partie de la sélection 2020 du comité de lecture de Troisième bureau

BIOGRAPHIE
Simon Longman est un auteur anglais des West Midlands, lauréat du 49e prix George Devine 2018 pour sa pièce Gundog (Chien-Fusil), créée au Royal Court Theatre de Londres. Depuis sa participation au Young Writers’ Programme du Royal Court en 2013 et la bourse octroyée par Channel 4 Playwright’s Scheme en 2014, il a écrit une demi-dizaine de pièces dont Island Town, très applaudie au festival d’Édimbourg 2018, et Rails, présélectionnée pour le 2015 Bruntwood Prize, puis créée en 2018 par Theatre By The Lake (comté de Cumbria). Son court-métrage Oakwood, réalisé par Andrew Cumming, a été diffusé en 2015 sur BBC iPlayer.

BIBLIOGRAPHIE
Milked, 2015
Sparks, 2015
Gundog, 2018
Rails, 2018
Island Town, 2018
Tous ces textes sont publiés chez Bloomsbury.

SES 3 COUPS DE CŒUR LITTÉRAIRES
– Willa Cather > surtout, O Pioneers! (Pionniers)
– Jean Rhys > surtout Wide Sargasso Sea (La Prisonnière des Sargasses)
– Louise Bogan > n’importe lequel de ses poèmes. Il y a un vers dans celui intitulé After The Persian qui est parmi mes préférés :
“ Goodbye, goodbye !
There was so much to love, I could not love it all ;
I could not love it enough.”
– Cormac McCarthy > la plupart de ses romans
– Sarah Kane, Blasted (Anéantis)

« Ça fait plus de trois coups de cœur, mais ça vous donne une idée !  » S.L

GISÈLE JOLY, traductrice
Comédienne, traductrice, venue à la traduction de l’anglais sur un coup de cœur pour Dans la peau d’un acteur de Simon Callow (Espaces 34, 2006). Membre du comité anglais de la Maison Antoine Vitez, elle a traduit ou cotraduit avec son aide des pièces de : Alan Bennett, Richard Bean, debbie tuckker green, Douglas Maxwell, Lachlan Philpott, Nicolas Wilson, Simon Longman ; à commencer par Nez rouges, Peste noire de Peter Barnes (Domens, 2010 ; lecture épique au festival Regards Croisés, juin 2010). Et cotraduit avec Séverine Magois Une petite douleur de Pinter et Ce démon qui est en lui d’Osborne.

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