Edito2014 – C’est quoi le problème ?

visuel-rc-2014petitPOURQUOI SE RASSEMBLER TOUT AU LONG DE L’ANNÉE  ?

Nous savons tous que l’histoire littéraire est faite de ratés, de loupés, que telle maison d’édition s’est ridiculisée en refusant un auteur, que tel homme de lettre a méprisé un jeune poète alors qu’aujourd’hui ce dernier (enfin mort !) se voit coiffé de tous les éloges. Continuer depuis tant d’années ce travail de lecture et de collecte de textes à Troisième Bureau, c’est refuser de mépriser le présent au nom des grandes œuvres du passé, c’est penser qu’ici ou là, en quelques lieux, existent encore des hommes en quête de poésie. C’est aussi croire, à l’instar de Borges, qu’on n’écrit pas, on ne fait que ré-écrire, et de main en main, de bouche en bouche, s’écrit la littérature et peut-être l’histoire des hommes. Se pourrait-il alors que notre époque ne puisse plus prolonger ce geste ? Qu’elle n’ait rien d’autre à proposer que des résultats de comptes et des essais d’économistes ?

Lire et relire des textes contemporains est un acte qui nous engage, c’est croire encore que dans un monde où l’étouffement des désirs sert l’ordre établi, un monde où la fatalité et le cynisme empêchent tout élan, notre avenir ne réside ni dans les lumières aveuglantes des rêves préfabriqués ni dans la nostalgie stérile d’un Eden perdu. Non, les œuvres ne surgissent pas dans la nuit toutes étincelantes de leur superbe évidence, il faut des chercheurs, des mineurs ou des astronomes pour guetter ces poèmes, car comme la littérature, « L’étoile n’éclaire pas, mais à chaque œil tourné vers elle, elle envoie son rayon »1.

Projeter son regard critique sur les œuvres du présent, c’est tenter de développer une pensée singulière, c’est se confronter à d’autres perceptions, c’est être seul face à l’œuvre, sans experts, sans a priori. Dans La littérature à l’estomac, Julien Gracq se moque d’un certain esprit français qui adore parler de littérature, quitte à répéter les propos des autres plutôt que de demeurer coi. Ne pas répondre en matière de goût littéraire, ce serait aussi absurde que

de ne pas pouvoir répondre à la plus simple question concernant le temps qu’il fait. Et bien, s’asseoir autour des tables jaunes de Troisième Bureau et lire des textes inédits, c’est risquer d’être dérouté, d’être en désaccord, de revenir sur un avis à l’emporte-pièce, c’est avoir le plaisir de ne plus savoir – certains jours – le temps qu’il fait.

Laura Tirandaz

1 / Ecuador, Henri Michaux, L’imaginaire Gallimard, p111