Festival 2024

FESTIVAL REGARDS CROISÉS – 24e édition

du 21 au 28 mai 2024

Rencontres internationales des écritures théâtrales contemporaines

 

EDITO

>>  Programme du festival Regards croisés 2024 <<

donc nous y sommes

Aux pieds du mur.

Oui. Et nous sommes pas mal avancéEs en termes de pourrissement.

Nous pourrions même dire que c’est une réussite intersidérale.

Pendant ce temps, cela fait maintenant plus de deux décennies que Troisième bureau et son comité de lecteurices défendent un théâtre qui s’obstine à écrire et décrire poétiquement le monde, un théâtre de mots et de souffles qui travaille à fortifier nos imaginaires.

Cela fait maintenant plus de deux décennies que nous commettons des chroniques, éditos et autres textes qui appellent de leurs vœux à la nécessité d’une poésie pour fracturer ce trop de réalité étouffant.

Et 20 ans plus tard, face à la morosité, nous pourrions jeter l’éponge.

C’est vrai, dans un monde qui ne sait plus comment freiner même quand il se prend une claque et se retrouve confiné, et qui reprend ses habitudes en pire – on accélère coûte que coûte -, le théâtre de texte est regardé de façon moribonde par les institutions et celleux qui les dirigent. Pour preuve : les éditions de théâtre doivent sans cesse rappeler que ce qu’elles éditent ce n’est pas de la littérature au rabais, les auteurices scander que leur travail est un travail d’artisanEs relevant de la maïeutique plutôt que de l’improvisation hasardeuse.

Pourtant aujourd’hui nous persistons et continuons à croire qu’il n’est pas complètement impossible de respirer dans cette ambiance morose, et que notre meilleure bouffée d’oxygène, eh bien ! aussi ringard que cela puisse paraître ! c’est la poésie dramatique !

Annie Lebrun encourage à se livrer à un sabotage passionnel reposant sur un refus farouche de prêter le moindre sérieux à un monde de plus en plus grotesque.

Nous ne pouvons que la rejoindre. Et nous ne pouvons que redire l’absolue nécessité à notre survie de faire une place majeure dans notre quotidien à la poésie.

Oui, la poésie, c’est un pharmakon, un médicament contre la perte de sens. Peut-être pas apparemment le médoc le plus à la pointe de la modernité, pourtant c’est le seul que nous connaissions pour que vive ce qui semble nécessaire à une communauté pour qu’elle ne s’entredévore pas. Sinon pourquoi voudrait-on s’emmerder à faire taire les poéteSSEs ?

Si vous n’en êtes pas certainEs, faites l’exercice suivant : enfermez-vous dans un salon surchauffé avec un téléviseur branché à l’ancienne sur l’une de ces chaînes vouées à l’information en continue sans possibilité d’en changer. Je vous laisse constater ce qu’il restera de vous. Un petit amas de glaire, de chair et de sang dépourvu de pensées et raison.

Alors que nous sommes en train de façon quasi mondiale d’assister à un repli forcené des territoires à coup de politiques nationalistes, nos pensées, notre façon d’appréhender l’autre, ses différences, les clivages dont iel peut être porteur·euse, sont aussi en train de rétrécir.

Annie Le Brun s’inquiétait d’une recrudescence massive de myopie intellectuelle. On se retrouve aujourd’hui dans l’incapacité de dialoguer avec nos in-semblables sans les suspecter de déviance. À croire que le libéralisme sauvage en tant que système politique a gagné : concurrence radicale et détestation calomnieuse deviennent la tonalité sur laquelle les jours s’écoulent.

Alors il y a urgence.

Urgence à inventer de nouveaux récits, urgence à faire la part belle à la fiction, urgence à convoquer d’autres réels, urgence à arpenter des territoires qui ne sont pas les nôtres, urgence à apprendre de ce qui nous semble si loin de nos convictions, urgence à se déterritorialiser et à faire entendre des écritures tournées vers l’autre – celle ou celui que je ne connais pas. Urgence donc à faire entendre des récits capables d’être en dialogue quantique entre ce qui est passé et ce qui est à venir, des nouveaux récits qui enchassent les incompatibles.

Soyons intranquilles !

Et fasse que notre trop grand soulagement à nous retrouver confrontés à des formes artistiques confortantes devienne, lui, suspect !

Le théâtre n’est pas une communauté avouée, mais une communauté qui se construit aussi vite qu’elle se délite. Face à notre avenir énigmatique, pour cette 24e édition de Regards croisés nous avons donc fait le choix de faire entendre des textes radicaux qui somment de nous souvenir que notre interdépendance les unEs vis-à-vis des autres (faunes et flores) n’a jamais été aussi forte. Nous sommes sur la crête, ne tient qu’à nous de ne pas basculer du mauvais côté : celui de la table rase, celui de l’amnésie, celui du mutisme.

Magali MOUGEL, autrice